Le mil, le maïs, le sorgho, ou encore le manioc font partie intégrante de l’alimentation des ouest-africain·es depuis des générations. Pourtant, on constate aujourd’hui que ces céréales sont fortement délaissées, au profit du blé et du riz. Avec une population de 15 millions d’habitants, le Sénégal par exemple importe environ 600 000 tonnes de blé par an contre 100 000 tonnes dans les années 1980 (source : J. Berthelot, SOL, 2019).
D’une part, le blé constitue une céréale très peu chère. En Côte d’Ivoire par exemple, on estime qu’il est 25% moins cher que la semoule de manioc. D’autre part, la farine de blé étant facile à travailler, celle-ci facilite la fabrication de pain qui est très apprécié par la population locale, notamment les jeunes et les citadins. Au Sénégal, on estime ainsi à plus de 8 millions les baguettes de pain consommées par jour, soit une évolution de la consommation moyenne de pain par tête de 22 kg en 2000 à 32 kg en 2016 (source : Jacques Berthelot, SOL). Cette consommation croissante, héritée de la colonisation, pressurise aujourd’hui le développement des filières locales ouest-africaines.
D’un point de vue nutritif déjà, comme un grand nombre des aliments consommés dans le monde, le pain est un aliment transformé. Les blés dont sont issus la farine sont “enrichis” en gluten, ce qui rend le pain plus léger et plus aéré, et donc beaucoup moins nourrissant qu’auparavant.
Mais si la consommation de blé pose problème en Afrique de l’Ouest, c’est principalement parce que celui-ci n’est pas produit localement. Il est importé notamment d’Europe, là où le blé est produit massivement par les agriculteurs et agricultrices bénéficiant des aides de la PAC (Politique Agricole Commune). En Europe, ce sont ainsi près de 60€ d'aide par tonne de blé attribués aux agriculteurs européens via la PAC.
En changeant progressivement ses habitudes alimentaires, le Sénégal par exemple est devenu de plus en plus dépendant à ces importations. Progressivement, le pain à base de blé, peu nutritif mais accessible et prêt à consommer, couplé aux importations massives de riz a ainsi pris le dessus sur les recettes à base de céréales locales. La situation est telle que les savoir-faire et traditions alimentaires se perdent, et l’urbanisation croissante tend à intensifier ce constat. Si les importations de blé venaient à s’intensifier davantage, ce sont principalement les agriculteurs et agricultrices qui en souffriraient.
Par l’accroissement de la dépendance des pays d’Afrique de l’Ouest à ces importations, la souveraineté alimentaire et plus largement l’autonomie alimentaire de millions de personnes est mise en péril.
Ce constat montre qu’il y a urgence : les modèles agricoles et alimentaires actuels doivent changer pour favoriser la culture, la transformation et la commercialisation des variétés de céréales locales. Pour reconquérir son autonomie alimentaire, il faut soutenir le développement des filières locales, il faut former et sensibiliser les consommateurs, les boulangers et transformateurs, les agriculteurs et tous les acteurs de la chaîne alimentaire à l’incorporation de variétés traditionnelles, à la transformation alimentaire, à l’agroécologie, etc.
Notamment, la difficulté éprouvée par les agriculteurs à avoir de bons rendements de production du mil, l’identification et la sélection par les paysans de variétés de semences paysannes locales, adaptées et adaptables à l’environnement et au climat local (sol pauvre, pluviométrie faible, etc.), la valorisation des produits locaux auprès des consommateurs, etc. Tous ces enjeux ont amené depuis plusieurs années une multitude d’initiatives locales à se développer en Afrique de l’Ouest pour promouvoir les productions et le consommer local.
C’est le cas par exemple du projet Valorisation des céréales locales au Sénégal mené par l’association SOL, Aternatives Agroécologiques et Solidaires et la FONGS-Action Paysanne depuis 2011 et qui permet l’accès à des produits locaux à plus de 40 000 personnes au Sénégal.
Dans le cadre de ce projet, Sallou, boulanger, a bénéficié de formations ainsi que d'un appui financier pour acquérir le matériel adéquat (four, etc.). Il a finalement augmenté sa production moyenne journalière de pain, passant de 10 à 20 kg.
Sallou, bénéficiaire du projet Valoriser les Céréales Locales. Lien vers témoignage complet |
Il faut ainsi encourager le développement de filières locales et leur mise à l’échelle. D’après l’association SOL :
« celles-ci constituent des sources importantes d’emplois, de produits vivriers, de ressources financières et offrent en même temps des opportunités intéressantes de réduire les importations de blé ».
Pour cela, les réglementations européennes et africaines doivent favoriser les filières locales qui permettront de créer des emplois, de réduire la dépendance des pays ouest-africains aux importations, d’en diminuer l’empreinte écologique, de se réapproprier les méthodes agricoles traditionnelles et d’améliorer la qualité des produits consommés en Afrique de l’Ouest.
Mais le blé, si peu cher, décourage souvent les décideurs politiques à changer les choses… Au Togo, le gouvernement a décidé fin 2019 l’incorporation de 15 % de céréales locales dans le pain (sorgho, soja, manioc). La formation des boulangers est en cours pour que la mesure puisse être réellement appliquée. Depuis l’Europe, nous pouvons soutenir ce type de mesure, en retrouvant la vocation initiale de PAC et en menant des politiques cohérentes avec la réalisation des Objectifs De Développement Durable !