Face au dérèglement climatique global, chaque territoire, au nord comme au sud, doit pouvoir mettre en place les mesures nécessaires pour s’adapter. Souvent les pays en développement ne font pas face aux mêmes problématiques que les pays du nord et ont moins de moyens pour effectuer cette transition. De manière directe ou à travers des réseaux, la plupart des migrants entretiennent des liens avec leur lieu d’origine et la migration joue un rôle clé dans la redistribution des richesses entre pays et territoires.
Dans sa thèse, Samuel Lietaer, doctorant à l’Université Libre de Bruxelles, cherche à comprendre le rôle des diasporas dans l’adaptation au changement climatique dans leur territoire d’origine. Il fait depuis deux ans son terrain dans la Moyenne-Vallée du Fleuve Sénégal, région ancienne de migration au Nord-Est du Sénégal.
Qu’est-ce qu’une diaspora ?
Samuel Lietaer : Il n’existe pas de définition universellement acceptée de la diaspora. L’Organisation Internationale des Migrations (OIM) adopte une définition très large des diasporas : “« Les émigrants et leur descendance qui vivent hors de leur pays natal ou du pays de leurs parents, sur une base temporaire ou permanente, tout en conservant des liens affectifs et matériels avec leur pays d’origine. » En fait, la diaspora englobe simplement toutes les personnes qui ne vivent pas dans leur pays d’origine ou d’héritage et qui continuent, d’une manière ou d’une autre, à s’identifier à lui. Il peut donc s’agir de ressortissants étrangers naturalisés, de résidents expatriés, d’étudiants, de travailleurs migrants, d’exilés ou de demandeurs d’asile.
Initialement le mot diaspora a une connotation politique, il fait penser aux diasporas arménienne ou juive qui ont dû fuir pendant les grandes guerres à cause de persécutions politiques et qui avaient des projets de réinstallation avec un nouvel ordre politique. Depuis 20, 30 ans, ce terme apparaît dans un autre contexte, notamment celui de la coopération et du développement et s’élargit à d’autres communautés. Ce côté initiative spontanée, privée, du développement par des migrants et des associations locales a attiré l’attention des ONG et des pouvoirs publics.
Quelle différence entre migrants et diasporas ?
Samuel Lietaer : La différence entre migrants et diasporas n’est pas toujours claire. Par exemple, au Sénégal, si les ministères ne parlent pas de migrants, ils parlent parfois de diasporas, mais ils parlent le plus souvent “sénégalais à l’extérieur”. Sans que l'on ne sache vraiment s’ils intègrent la deuxième ou la troisième génération dans la définition ou s’il faut toujours avoir la nationalité sénégalaise etc. Cela a des conséquences importantes parce que si on est reconnu comme sénégalais à l’extérieur on peut bénéficier d’avantages fiscaux pour investir dans des projets.
Qu’est ce que ce que l’adaptation ?
Samuel Lietaer : Le terme d’adaptation est issu principalement des négociations internationales sur le changement climatique initiées en 1992 à la conférence de Rio. C’est le fait de s’adapter au changement climatique à venir. Avant on parlait beaucoup de développement mais on s’est rendu compte que ce terme n’était pas suffisant pour inclure les limites environnementales justement liées à notre développement. C’est d’ailleurs aussi à ce moment-là que la notion de développement durable est apparue afin d’ajouter les dimensions sociales et environnementales au développement économique. Ensuite, lors du sommet climatique à Cancun en 2010, la migration a été officiellement reconnue comme une stratégie d’adaptation au changement climatique. Cette reprise par les décideurs était le résultat d’un processus de construction d'un nouveau discours par l'entremise de conférences de haut niveau de chercheurs et des publications de l'OIM quelques années plus tôt vers 2007-2008.
Les diasporas ont très vite été perçues par les personnes restées au pays d’origine, mais aussi par les acteurs de coopération, comme un moyen d’investir dans des projets de développement. Aujourd’hui, on commence à parler de leur rôle dans l’adaptation au changement climatique.
Quel est le lien entre migration environnementale et adaptation ?
Samuel Lietaer : La migration fait partie des stratégies d’adaptation aux changements environnementaux et climatiques depuis la nuit des temps. Elle est reconnue comme telle depuis la conférence de Cancun de 2010. Beaucoup de personnes viennent en Europe pour des raisons environnementales, même si elles ne se déclarent pas migrants climatiques ou environnementaux. Le plus souvent, ces personnes sont envoyées avec un mandat de la famille. Au Sénégal, envoyer une personne en Europe, même si ça coûte cher au départ, c’est une sorte de retour sur investissement. Une fois arrivés, les migrants doivent envoyer de l’argent, des idées, des partenaires pour résoudre les problèmes auxquels font face la famille ou le village. Le plus souvent leur apport reste des envois d’argent au compte-goutte, mais souvent réguliers, qui vont principalement à la famille. Pour la plupart des familles, cet argent sert aux dépenses de consommation quotidiennes : alimentation, factures d’eau et d’électricité, frais scolaires, etc. Ces envois font toute la différence pour ces familles restées au pays en contribuant à leurs moyens de subsistance et à l’économie locale. Pour d’autres, cela aide à arrondir les fins de mois. Des fonds dédiés à des investissements privés ou des appuis financiers pour des projets d’entreprenariats de proches sont moins fréquents. Le migrant est donc un agent de développement pour la famille et le village. Il peut aussi être un agent de développement durable, avec des projets de reboisement, de gestion des déchets. Par exemple, en partenariat avec le département des Yvelines, la diaspora sénégalaise a développé dès les années 80s, des projets d’incinération de déchets.
Comment les projets de développement local sont-ils mis en oeuvre ?
Samuel Lietaer : Ces projets collectifs se font donc souvent à l’aide de partenaires trouvés dans un pays d’émigration. Une fois que les besoins et demandes ont été formulés et approuvés au village, il s’agit de mettre en oeuvre des réponses par l’association de développement villageois (ADV). Souvent de manière ad hoc, en fonction des contacts de donateurs extérieurs trouvés par des migrants pro-actifs, les autres migrants, répartis en branches ou sections de l’ADV dans une vingtaine de pays, participent aux systèmes de cotisations. Les villageois contribuent aussi, dans les limites de leur moyens. L’implication des migrants dans ces activités permet également le transfert d’expériences, de connaissances, et de savoir-faire. On parle depuis le milieu des années 90 d’une approche de « co-développement », c’est-à-dire un développement partagé, simultané entre « ici » et « là-bas ». Il y a donc des relations multidimensionnelles entre diaspora, ONG, populations locales, collectivités locales et pouvoirs publics.
Quels types de projets sont concernés ?
Samuel Lietaer : Aujourd’hui, beaucoup d’investissements sont faits dans des projets sociaux ou culturels mais encore très peu dans des secteurs productifs comme l’agriculture, l’industrie ou l’artisanat. C’est dommage parce que, même si l’éducation et la santé sont indispensables, c’est aussi par la création d’emplois sécurisés qu’un village peut s’en sortir quand il y a une forte sécheresse ou une inondation.
Cependant, la situation évolue plus vite dans les villages d’où sont originaires des personnes influentes de la diaspora, ayant des contacts notamment politiques à la capitale ou dans des associations. Ils peuvent ainsi attirer le regard sur certaines situations et faire part de leurs doléances. En gros, leur village sera alors plus haut dans la pile administrative des distributions de ressources. Il y aussi d’importantes inégalités entre les villages et les familles qui ont un nombre important de migrants et ceux qui n’en ont pas. Dans les villages qui ne bénéficient pas de la migration, on trouve moins d’infrastructures collectives ou de moins bonne qualité, moins d’aménagement et de matériel agricole, pas de case de santé, pas le même bâti,…
J’ai trouvé au cours de mes recherches que beaucoup de migrants investissaient dans l’immobilier à Dakar. Bien que critiqué, ce type d’investissement peut aider considérablement une famille au village. Des membres de la famille peuvent par exemple partir à la capitale pendant la période de soudure (fin de la saison sèche lorsque les réserves de nourriture s’épuisent), s’y installer sans payer de loyer et trouver un autre job. Pareil pour les étudiants durant l’année scolaire. Les malades et les aînés peuvent aussi s’y rendre pour échapper aux fortes vagues de chaleurs et tempêtes de sable et pour avoir accès aux services de la ville, notamment des infrastructures de santé.
Mais ce système amène une certaine forme de dépendance. Selon plusieurs témoignages dans la moyenne vallée du Sénégal, les villageois ressentent immédiatement quand la conjoncture économique est favorable ou non à Paris. Par exemple, si un migrant qui a lancé un chantier de construction pour sa nouvelle maison perd son emploi à Paris, les ouvriers qui travaillent sur son chantier au village seront bloqués aussi : ils seront alors au chômage technique faute de financement.
Les diasporas contribuent elles nécessairement de manière vertueuse au développement durable des territoires ? Peuvent-elles engendrer aussi des cas de “maladaptation” ?
Samuel Lietaer : Dans plusieurs cas, l’argent est employé de telle manière qu’il peut engendrer des maladaptations, c’est-à-dire empirer la situation locale plutôt que l’améliorer. Par exemple, chez les peul, avoir un cheptel important est synonyme de statut social élevé. Quand ils rentrent, les migrants peul dépensent beaucoup d’argent pour (re)constituer un cheptel, alors même qu’ils savent que les bêtes engendrent une pression importante sur l’environnement, bloquant la régénération des végétaux. Pourquoi ils n’investissent pas dans autre chose ? Cela leur coûte pourtant parfois plus d’argent que ce qu’ils en gagnent. Mais c’est une fierté et un plaisir. Et ils estiment que ce n’est pas à eux de faire cet effort. Autre exemple, dans la moyenne vallée du fleuve Sénégal, beaucoup de migrants investissent dans des maisons occidentales en béton avec des toits en taule qui absorbent très fortement la chaleur. Elles ne sont pas adaptées au climat local, et coûte ensuite parfois trop cher en matériel et consommation électrique pour l’air conditionné. Traditionnellement, les maisons sont en terre crue et en paille pour justement ne pas trop absorber la chaleur. Finalement, ceux qui ont les maisons en béton préfèrent dormir dehors durant les mois de chaleur tellement qu’il fait chaud à l’intérieur.
Avez-vous constaté des différences de sensibilité et de connaissances sur les questions environnementales entre populations migrantes et non migrantes ?
Samuel Lietaer : Il n’y a pas systématiquement d’importantes différences de perceptions entre les personnes migrantes et non migrantes. Concernant la diaspora sénégalaise par exemple, beaucoup des personnes parties durant les années 70 et 80 étaient peu éduquées. Elles n’ont pas pu accumuler le même savoir scolaire que certains jeunes partis plus récemment. C’est un gros handicap d’être illettré pour réussir son ‘voyage’, puisqu’on peut facilement se faire exploiter ou arnaquer. Cela change pour les migrants qui ont eu accès à une éducation universitaire, ou pour ceux qui savent lire et écrire un minimum et qui ont aujourd’hui tous accès à internet sur leur téléphone portable. Ils reviennent au village avec des projets plus affinés. Ils ont souvent une plus grande conscience des risques et des opportunités d’investissements, notamment en ce qui concerne l’agriculture en monoculture avec des OGM, ou l’utilisation des pesticides.
Propos recueillis par Lucie Pélissier
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