Montreuil, banlieue parisienne. Il fait très froid en ce samedi matin de décembre. Alors qu’au même moment, les grands de ce monde négocient l’avenir climatique de la planète au Bourget, un petit groupe de citoyens va, de son côté, consacrer son week-end à tenter d’apporter une réponse à cette thématique cruciale : « alternatives locales pour migrations solidaires ». Si ils sont réunis à Montreuil, ce n’est pas par hasard. La ville accueille pour le week-end le Village mondial des alternatives, un grand rassemblement citoyen qui se tient en parallèle de la COP21, où se sont notamment installées un certain nombre d’associations d’aide aux migrants. C’est là que nos participants tenteront de trouver réponses à leurs questions.
Ils sont donc sept à faire travailler leur matière grise pour 48 heures. Car exceptionnellement cette fois-ci, le débat se déroule sur deux jours. Le samedi est consacré à la réflexion et le dimanche à la restitution, qui se fera sous forme théâtrale, accompagnée par la Cie Arti-Zanat’. Un moyen ludique et participatif de traiter de cet enjeu complexe. Pour l’heure, Jean-Marc, Judith, Cédric, Richard, Marie-Emma, Mohammed et Farah font connaissance autour d’un petit jeu brise-glace : dans la grande pièce du lieu associatif qui les accueille, l’espace Comme vous Emoi, chacun déambule puis, sur un frappement de main, échange avec la personne la plus proche. Quel a été ton voyage le plus lointain ? Celui que tu rêverais de faire ? Quel est le combat qui te tient le plus à coeur ? Autant de sujets qui permettent de mieux appréhender l’autre et de combattre sa timidité... De préparer le terrain pour les discussions citoyennes en somme.
Après un rapide rappel des règles du débat citoyen : la liberté de parole, l’expertise collective et la valorisation des opinions minoritaires, les échanges se mettent en place. Comme lors des précédentes éditions, c’est par groupe de trois personnes qu’ils sont le plus efficaces. Une question taraude Jean-Marc et Marie- Emma notamment : doit-on s’intéresser uniquement aux initiatives associatives ou davantage prendre en compte l’action des collectivités pour accueillir les migrants ? Pour Judith, il est également important d’apporter des réponses innovantes à celles qui existent à l’heure actuelle. Richard, de son côté, insiste sur les valeurs de solidarité qui le portent. Pour lui, la notion d’hospitalité a aujourd’hui perdu beaucoup de sens. Comment la retrouver à l’échelle locale pour apporter des solutions à la question migratoire ? Autant d’interrogations et de sensibilités personelles que chacun souhaite retrouver dans la question qui les guidera par la suite.
Finalement, après quelques heures, cette dernière finit par émerger : Quelles alternatives citoyennes locales d’hospitalité peuvent influencer les politiques d’immigration ? Il s’agit maintenant d’apporter des éléments de réponse. Et cette fois-ci, tout le monde est unanime : ils veulent trouver des exemples concrets ! Les participants décident donc de se répartir en deux groupes afin de mieux mener l’enquête sur le village. L’un va enquêter sur l’activité économique et la formation, l’autre sur l’accès au titre de séjour et les modes de participation citoyenne des migrants.
Comme souvent lors des débats citoyens, le temps est compté. L’enquête sur le village se fait donc au pas de course, en cumulant la pause déjeuner. Car il faut prendre le temps de mettre en commun tous les exemples et solutions trouvés.
Enquete sur le village mondial des alternatives from e-graine d’images on Vimeo.
Richard et Cédric, après avoir discuté avec le Réseau Éducation Sans Frontière, l’association Droits Devant !! et le Cercle de résistance retiennent ceci : « il est primordial de constituer un réseau pour soutenir les sans-papiers, la clef est ici. La scolarisation est aussi un levier d’action pour intégrer les enfants de migrants ». Cela rejoint l’analyse de Mathieu et Mohammed qui ont rencontré l’association ATD Quart Monde. Cette dernière a ainsi mis en place, à l’échelle d’un territoire, un système de garantie de l’emploi, aux migrants et non-migrants (Territoires zéro chômeurs de longue durée. Ce système permet à chaque citoyen de parrainer un sans-papiers afin de lui apporter une certaine protection aux yeux de la loi et de le rendre moins facilement expulsable. Là encore, l’exemple est simple et s’est déjà révélé efficace.
La question de l’intégration des migrants par le travail peut paraître la solution la plus efficace, car elle rend la régularisation automatique au bout d’un certain nombre d’années. Mais, pour Judith et Mohammed notamment, cela pose des questions d’éthique et de vision de la société. « Est-ce vraiment le travail qui doit constituer la citoyenneté et l’intégration, interroge Judith. Moi en tant que française, j’ai le droit de ne pas travailler, de vivre un temps au chômage, j’en reste tout de même citoyenne française. Un sans papiers n’aurait donc pas droit à ça ? » En réponse, Jean-Marc soulève une alternative : il ne s’agit pas de travailler mais plutôt de participer à la vie d’un territoire, même bénévolement, pour y être intégré.
Samedi fin de journée. La fatigue se fait sentir. Il faut désormais formuler une réponse à la question du jour : Quelles alternatives citoyennes locales d’hospitalité peuvent influencer les politiques d’immigration ? Et finalement, voici la proposition de nos participants : et si l’on imaginait, à l’échelle locale, un réseau de solidarité pour tous, migrants et non-migrants ? Cela fonctionnerait un peu à la manière du troc, plutôt que d’échanger des valeurs marchandes, chacun proposerait un savoir-faire, afin de faire vivre ce territoire. Et, sans-papiers ou non, chacun serait bienvenue pour intégrer ce réseau ! Une proposition certes assez idéaliste mais qui, au final, pourrait bien être mise en pratique. Et Cédric, Richard, Judith et tous les autres vont tenter de le démontrer dès le lendemain, en public.
Dimanche midi, rendez-vous au cœur du Village mondial des alternatives. Le défi est de taille, les participants vont imaginer, en presque live, ce que serait ce fameux réseau de solidarité. Si Richard, Mathieu et Cédric sont comédiens, Judith et Jean-Marc ne le sont pas. Portés par l’enthousiasme, ils se mettent en scène et n’hésitent pas à jouer devant les passants la restitution du débat citoyen qu’ils ont imaginée. Et ce trois fois de suite.
Montreuil Restitution from e-graine d’images on Vimeo.